« Mes humains sont de vrais goinfres, ils passent leur vie à manger. Ils commencent dès qu’ils sortent du couloir. (J’y suis déjà allée mais ils me l’ont interdit ; il y a là-bas plusieurs autres pièces, c’est là qu’ils passent la nuit et je crois qu’ils y font leur toilette et leurs besoins.) Donc dès qu’ils sortent de là, ça commence. Mes maîtres, je ne les vois pas prendre leur premier repas car je suis encore dans mon tonneau, dans l’ancienne étable. Mais je vois très bien leurs invités. Deux d’entre eux viennent le plus souvent, ce sont deux femelles. Ce sont les pires, elles mangent comme quatre, pire que les oiseaux. Ceux-là aussi je les vois, ils piaillent au–dessus de ma barrique dès que les premiers rayons du Soleil percent à travers les ouvertures, tout en haut.
Dès le matin donc, les humains mangent. Je les regarde avec envie faire griller leurs morceaux de pain, puis, alors que la casserole, remplie, chauffe, ils tartinent leur pain avec du beurre, ils l’enduisent de confiture, dont le parfum délicat et fruité parvient jusqu’à mon tapis… (Mm…. Je m’en lèche les babines rien que d’y penser…) comme pour mieux me narguer.
Et ils défilent, autant qu’ils sont, sans rien me donner de plus que la faim. Ensuite, les uns après les autres, ils retournent au couloir et j’entends des bruits dans les tuyaux.
Plus tard, quand le Soleil chauffe sans ombre, ils recommencent, mais cette fois tous en même temps. Ils font du bruit dans les placards et dans la pièce à côté, (celle où je suis souvent ma maîtresse quand elle va chercher de quoi me nourrir, cette pièce avec les deux grosses masses blanches, l’une couchée, l’autre debout) et ils mettent tout ce qu’ils trouvent sur la table. Ils enlèvent ce qu’ils ont fait cuire pendant parfois des heures sur le Cube Chauffant, puis ils se le distribuent.
Moi, couchée sur mon tapis, j’attends. Plusieurs fois je me lève et marche autour de la table, mais on me renvoie aussitôt à mon tapis ; à côté de l’autre masse chauffante dans laquelle ils font tomber du bois et du papier quand ils l’ouvrent sur le dessus ; je ne dois pas quémander. Les plats se succèdent et j’ai enfin droit à quelques épluchures de pomme. Ensuite, quand ils ont débarrassé la table de son fardeau et qu’il n’y reste plus que mon maître qui regarde le Cube Animé, j’ai droit aux miettes de pain… »